"L'HISTOIRE DE LA PSYCHANALYSE EN RELATION AVEC LES MYTHES GRECS"
Silvia Vegetti Finzi
professoressa di Psicologia Dinamica all'Università di Pavia
Vers le lieu des origines
"Les crises de vertige et de larmes sont des choses adressées à lautre et surtout à cet inoubliable Autre préhistorique qui par la suite naura janais dégal" ,écrit Freud à Fliess lorsquil rencontre le fantasme de la Grande Mère qui, avant la pensée et le langage, domine le lieu de lorigine.
LImago qui habite ces territoires sauvages représente un défi pour la psychanalyse parce que ,en tant que thérapie de la parole, elle se propose de récupérer le non dit pour le discours. Mais ici nous nous trouvons face à "lindicible" et linterprétation à elle seule ne suffit pas, il faut dautres sondes.
Dun point de vue évolutif, la mère devint un objet soulement pour un sujet qui, rompant lindistinction initiale sest déja separé delle et qui a transformé le Un en Deux. La naissance psychique, qui ne coincide pas avec celle biologique, advient en un "second temps" difficile à dater et à comprendre.
Pour Freud le nouveau-né est la mère et seulement successivement il a la mère. Mais le détachement nest pas indolore parce que, comme lenseigne Récamier, pour vivre il faut mourir, il faut affronter le deuil originaire dune union narcisique absolue. Et cet événement ne peut être récupéré à postériori parce que nous navons pas la mémoire du commencement.
Que veut dire alors Freud avec ladjectif "inoubliable" avec lequel il qualifie "lAutre préhistorique?
Il nous le dit lui-même quand il écrit : "Je ne peux même pas vous donner lidée de la grande influence de ce premier objet quant au choix de tous les objets successifs, des effets profonds quil produit, dans ces transformations et ses substitutions, jusque dans les zones plus reculées de notre vie psychique". Le fantasme des origines est donc repérable à travers ses dérivés, les effets secondaires quil provoque. Il en reste une trace surtout dans le symptome ,"dans ces crises de vertige et de larmes" qui frappent les hystériques et révèlent une affinité particulière avec le genre féminin. Ce sera donc au psychanalyste femme que Freud demandera des lumières sur la période qui précède lOedipe avant que linterdit de linceste ne trace les limites entre le soi et lautre et que le désir tout puissant ne rencontre ses limites.
La mère qui est avant le père constitue lobjet perdu pour toujours, forclos à la pensée et donc irrécuperable. On pourrait la définire une chose, en utilisant le terme das Ding avec lequel Freud indique ce qui reste dans linconscient de non représentable, dirréductible à la parole et à limage. En ce sens Mater qui dans le terme latin renvoie au terme Materia retombe dans le réel lacanien dans le registre de ce qui nobtient pas de forme psychique mais est pressant dans les formations de linconscient.
Sans doute lunité originaire se rompt à cause dun programme inné, par linjonction instinctuelle que la société humaine confirme et soutient à travers linterdit de linceste. Interdit qui, dans la formation plus simple et universelle commande à la mère: "Tu ne réintègreras pas ton produit".
Cest sur ce fond de vide que se projette la vague et indistincte figure de la mère originaire, de la mère-tout qui dune façon improvisée devient Autre, étrange, inquiétante, étrangère, umheimlich.
"Il arrive souvent remarque Freud que les névrosés déclarent que lappareil génital féminin représente pour eux quelque chose de perturbant (umheimlich). Ce perturbant est toutefois lantique patrie (Heimat) de lhomme, le lieu où chacun a demeuré un temps et qui est même sa première demeure". 'Amour est nostalgie', dit une plaisanterie et quand celui qui rève dune localité ou dun paysage, pense toujours en rêvant: 'Ce lieu mest connu. Jétais déjà ici' : est licite linterprétation qui insère à la place du payasage lorgane génital ou le corps de la mère."
Quand dans lanalyse des hystériques, reparcourrant en amont la relation avec leur mère, Freud rencontre un-non lieu de lorigine, il est envahi par une sensation de desarroi.
Il décrit alors lantique époque pré-oedipienne où domine incontestée la diade mère-fille, comme "dur à reporter en vie comme si elle était precipitée dans un refoulement particulierement inexorable". Il compare sa stupeur "à la surprise que dans un autre champ a suscité la decouverte de la civilisation minoico-micénéenne précedent la civilisation grecque".
Cette civilisation a disparu à cause dun terrible tsunami qui vers le XVè siècle a.C. a catastrophé lîle de Crète, laissant bien peu de traces de sa grandeur. Mais cest là, aux sources du mythe, que nous devons retourner pour récuperer ce que le Logos exclut de ses confins.
Ce que seul le mythe peut représenter
Je crois que dans notre culture il exsiste une secrète correspondance entre le productions de linconscient et limaginaire grec. Un imaginaire qui constitue "la plate-forme profonde inéluctable pour lorganisation du symbolique occidental",comme le démontrent les études dantropologie culturelles des savants sur lantiquité français et italiens.
Jean-Pierre Vernant en particulier dans La mort dans les yeux aborde le thème de lAutre en individuant dans la culture grecque la plus puissante expression dans le masque de la Méduse, une de trois Gorgones analysées par Freud.
Cette représentation concerne, précise Vernant, lexpérience que les Grecs ont faite de lAutre, opposée selon Platon à celle de lidentique.
Le thème de lAutre nous reconduit à "linoubliable préhistorique autre" de Freud, à la mère originaire. Linterprétation se présente toutefois comme opposée parce que si pour Vernant lAutre est la Mort, pour Freud cest, comme nous lavons vu, la Mère.
Méduse, figure de lindistinction, du chaos, condense lanimalité et lhumanité dans un mélange perturbant qui bloque la pensée et suscite langoisse.
Seul le mythe réussit à représenter en des formes socialement reconnues les contradictions que lindividue exprime indirectement dans les rêves et dans les mots désprit.
Caracteristiques du mythe, du rite et de leur représentation iconographique, cest la capacité de symboliser la coexistence des contraires, le chaos qui se mantient dans le cosmos, le désordre qui se dessine sur un fond dordre et de les traduire dans une représentation cohérente et partagée.
Pour Freud le masque de Méduse représente la mère decapitée, cest-à-dire évirée. Condition que lenfant nie jusquau moment où lévidence des sens simpose en lui provoquant une angoisse sans pareil. Le serpent qui entoure la tete de Méduse ont une fonction consolatoire parce quils nient la castration et réaffirme la toute puissance de lOrigine contre la limite imposée par linterdit oedipien.
Ce que Freud évite de reconnaître dans Gorgone est une signification ultérieure plus radicale: le fait que Mère et Mort dans la temporalité de linconscient coincident. Une superposition qui projette sur la maternité lombre du deuil en laissant le lieu de lorigine desertique et en laissant impensables le début et la fin de la vie. Une impossibilité qui rend interminable et sans conclusion lanalyse.
Pourtant dans la recherche de Freud une découverte précoce a vu le jour, qui grace au mythe permettait de situer dans lespace, et de moduler dans le temps, le premier Autre sans égal.
En 1913 Freud avait analysé lImago maternel dans un petit texte intitulé Le motif du choix écrins.
Ce texte, sous-évalué par lauteur lui-même, sera ensuite oublié par les élèves et par les historiens de la psychanalyse.
Je pense toutefois quil vaut la peine de le récupérer pour plusieures raisons. Entre autres à cause de lextraordinaire concordance entre les figures du mythe et celles de linconscient. Encore une fois cest le numéro "trois" qui doit dissoudre, comme celà arrive dans la triangulatiuon oedipienne, la métaphysique du Un et la fascination du Deux.
Les raisons pour lesquelles, dans limaginaire culturel, une série de choix "fatals" tombent sur le dernier élément dune terne conduisent Freud à analiser des oeuvres majeures comme le Marchand de Vénise et le Roi Lear de Shakespeare et des productions mineures, tirées de legendes, fables et mythes.
Ce qui lie des narration difformes et parfois meême contradictoires est un motif de fond, une sorte de thème musical. Il reste dans les différents contextes narratifs, une caracteristique de la chose ou de la personne sur laquelle tombe lindication de celui qui choisit: le silence, la paleur, lopacité, le froid. Connotations qui devraient repousser et qui au contraire determinent la décision. En ce sens parait exemplaire le choix des écrins dans le Marchand de Vénise ,où le prétendant, entre un écrin dor, un dargent et un de plomb, choisit le métal plus vil, eteint et insonore. Il sagit en effet, comme le révèle linterprétation par inversion ,dun choix apparent. Il nest pas de liberté parce que la troisième figure en tant que représentant la mort, constitue une necessité inexorable: on ne peut pas ne pas choisir.
Dici lanalyse de Freud se déplace sur la mythologie classique et nommement sur des divinités féminines composées par trois soeurs, commes les Heures, les Moires, les Graces, les Parques. Seule la sororité réussit à condenser, comme dans le rêve, la pluralité et lunité, la contemporaneité et la succession, laltérité et lidentité.
A lorigine les Heures étaient reliées à la pluie, à la rosée et aux nuages et, parce que les nuages ressemblent à une sorte de tissu, ils étaient représentés comme des fileuses. En outre ils étaient considerés comme des symboles des trois saisons en lesquelles les Ancients divisaient lannée astrale: printemps, été et hiver.
"Les Heures écrit Freud devinrent ainsi gardiennes des lois naturelles et de cet ordre divin par lequel tout dans la nature se rénove selon une séquence qui ne change jamais".
Jusque là le temps de la nature concerne le monde, mais successivement, observe Freud, lintelligence de la nature a fini par se refléter sur la conception de la vie humaine et les déesses des saisons devinrent des images du destin. Des trois Moires la troisième, Atropos, représente lineluctable, la Mort. Le choix entre trois alternatives se révèle donc, comme dans le Marchand de Vénise, être une décision obligatoire. Et la beauté qui la determine se révèle elle même comme un leurre.
Linterprétation semble être à ce point conclue, quand Freud ouvre un nouveau scenario plus proche des événements de notre vie.
Reprenons la tragédie de Roi Lear. Freud entrevoit dans les trois filles les relations necessaires que lhomme entretient avec la femme: "vers celle qui le génère, vers celle qui est sa compagne et vers celle qui lannulle; ou encore les trois formes par lesquelles de façon diverse se presente pour lhomme tout au long de sa vie, limage maternelle: la vraie mère, la femme aimée quil choisit selon limage de la mère et enfin la mère-terre qui le reprend dans son sein".
Tel un grand laboratoire de limaginaire, la mythologie que Freud définit "le rêve de lhumanité", constitue le ventre psychique où prend forme la pensée rationnelle et consciente.
La puissance évocatrice du mythe consent à Freud de dénouer létrangeté du "premier inoubliable prehistorique Autre", en le déclinant dans le temps et dans le récit. Avec trois intuitions osées poétiques il inscrit en fait la maternité dans le processus de la féminité; il rompt la solitude gelée de la divinité originaire en la conjuguant avec lhomme dans une relation damour; enfin il applanit lopposition menaçante entre la naissance et la mort dans le cycle éternel de la nature.
Toutefois il nest pas facile de mettre ensemble, dans notre pensée, léternité de la Mère et la finitude des mères. Le problème se pose, pour qui sait le reconnaître, également dans la pratique clinique où il sagit de mettre en syntonie la-historicité de linconscient avec la cronologie de la conscience, limmédiateté de limage avec la séquence de la narration, laltérité et lidentité, la solitude et la relation.
Ces antinomies quil est impossible de résoudre dans la méthode, rendent chaque analyse une aventure ouverte, un défi créatif. On naît psychologiquement en allant loin, mais loin de quoi? Le mythe nous aide à représenter lirreprésentable mais il incombe à la pratique psychanalyque den vérifier les suggestions.
Depuis les années 70 du siècle passé le thème de la Mère a été repris et élaboré surtout par cette branche du Mouvement des Femmes qui soutient la différence sexuelle et la spécificité féminine.
Mais, bien quelle ait été amplement analysée et débattue la question maternelle est destinée à rester sans solution. Comme le soutient C. Chasseguet-Smirgel: "ce qui nous pousse en avant est le désir de retrouver le temps heureux où nous étions pour nous-mêmes notre propre idéal. Nous sommes toujours à la recherche du temps perdu, perdu en effet au moment de la défusion primaire".
Malgré celà la thérapie psychanalytique enseigne quil faut, pour progresser, regarder en arrière jusque là où la vue se trouble et la pensée risque de se perdre. Mais se perdre est ,peut-etre, le seul moyen pour se retrouver.